Au XIXème siècle en Angleterre, à la suite du décès de leur père, les soeurs Dashwood et leur mère sont contraintes de réduire drastiquement leur train de vie et de quitter leur propriété pour s'exiler à la campagne. L'aînée, Elinor, renonce à un amour qui semble pourtant partagé, tandis que sa cadette, Marianne, s'amourache du séduisant Willoughby. Si la première cache ses peines de coeur, la seconde vit bruyamment son bonheur. Mais tout n'est pas si simple...
Série de trois épisodes réalisée par John Alexander, 2008
Adaptation du livre éponyme de Jane Austen
Avec : Hattie Morahan, Charity Wakefield, Janet McTeer, Linda Bassett, Lucy Boynton, David Morrissey, Dan Stevens, Dominic Cooper, Mark Williams
Le bonheur devrait être pour tous... et pour toutes
Ma découverte de l’univers romantique de Jane Austen commence par ce roman : Raisons et Sentiments (Sense and sensibility dans la langue de l’autrice). C’est un coup de cœur absolu. Je pleure avec ses personnages, je ris de joie pour elles, je suis en admiration devant l’écriture. Une écriture qui glisse avec délicatesse et finesse une réflexion sur la société de l’époque, celle qui enferme les femmes dans des attentes incertaines, des conventions injustes. L’adaptation qu’en fait John Alexander rend un merveilleux hommage à l’œuvre originelle.
Le choix de cette adaptation est d'une fidélité remarquable envers le roman de Jane Austen. La trame est inchangée, les personnages fidèles à leur description, les relations évoluent dans ce même sens. C'est ce premier aspect qui me plaît d'autant plus, car c'est pour l'histoire et son intelligence que je suis d'abord tombée en admiration face à Raison et sentiments. Une histoire de cruauté, de deuil, de conventions sociales, d'amour brisé, tourmenté, comblé. Et les deux personnages qui portent le plus le poids de cette trame, qui ne semble jamais vouloir les épargner, ce sont les deux sœurs aînées Dashwood, Elinor et Marianne. Tout aussi différentes que complémentaires, ces deux jeunes femmes ont à cœur de rester, de bout en bout, fidèles à elles-mêmes, à leurs rêves, à leurs valeurs. Dans une société qui les contraint plus qu'autre chose, c'est bien là la seule liberté qui leur reste, et elles la saisissent à bras le corps, quoiqu'il leur en coûte. Mais nous y reviendrons.
Commençons d'abord par l'adaptation cinématographique. Plus qu'une simple fidélité à l’œuvre, la réalisation de John Alexander propose une lecture approfondie de celle-ci, au plus proche de l'humanité et des émotions de ses personnages. Grâce à sa mise en scène, une simple phrase écrite prend soudainement plus d'ampleur à l'image : les sentiments de Marianne pour le colonel Brandon ne sont pas un simple revirement, ils ont besoin de temps pour s'apaiser et s'épanouir. Les scènes de non-dits, les émotions contenues, les suggestions - qui ont leur force dans leur texte - trouvent dans la série l'occasion d'être montrées, sans avoir besoin d'ajouter quelques mots ou explications. Par exemple, les spectateurices deviennent davantage complice de la difficile retenue qu'endure Elinor, notamment dans les quelques scènes où la jeune femme s'isole du monde pour se réfugier dans la discrétion de la nature. Les émotions des personnages, déjà accessibles à l'identification des lecteurices, sont ici brillamment mises en valeur par le casting, dont l'interprétation se révèle tout à fait exceptionnelle et permet d'approfondir toujours plus chacun de leur personnage.
Ensuite, il est intéressant de s'arrêter sur la réflexion que propose l’œuvre, que ce soit dans le roman de Jane Austen ou la série de John Alexander. Dans l'un comme l'autre, Raison et sentiments place les femmes au cœur du récit. A travers sa plume et les mots de ses personnages, Jane Austen propose une critique, romantisée certes mais tout de même bien réelle, de son époque et de la société conventionnelle et patriarcale. Elinor et Marianne, chacune à sa façon, se dressent face aux injustices dont elles souffrent. Elinor, aux côtés de sa mère, porte les besoins de sa famille, et choisit de ne pas rester dans l'attente comme les autres jeunes filles de son âge. Elle est maîtresse de son présent et de son destin. De son côté, Marianne, plus romantique et enjouée que son aînée, refuse la retenue et les conventions. Si elle en subit les conséquences, c'est bien davantage par la faute d'une société qui oblige les femmes à dépendre des hommes, de leurs sentiments, de leur actes, de leur volonté.
Et au milieu de cette famille exclusivement féminine, il y a Margaret, la cadette. Dans l'adaptation de John Alexander, elle prend plus de place, elle ne se laisse pas faire, elle est spontanée, curieuse, et profondément intelligente et consciente de leur situation. C'est elle qui pointe du doigt l'immense inégalité entre les hommes, autorisés à parcourir le monde comme bon leur semble, et les femmes, contraintes à attendre que quelque chose se passe. La remise en question de cette société patriarcale apparaît ainsi d'autant plus forte.
Cette adaptation est une réussite ; elle transporte les spectateurices dans la lande anglaise et dans l'univers critique et romantique de Jane Austen. Un parfait mélange entre les mots de l'autrice et la force de l'image cinématographique.
Pour en savoir plus :
Magnolia Award du meilleur réalisateur d'un film de télévision au Festival international TV de Shangha
Deux nominations aux Emmy Awards
Distribution VF (même ordre qu'en début d'article) : Dorothée Pousséo, Barbara Probst, Caroline Beaune, Josiane Pinson, Eloïse Brannens, Bruno Choël, Damien Farrette, Rémi Bichet, Gérard Rinaldi
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