Le Beau Monde convoque notre présent comme s’il était déjà un fantôme. Dans un futur lointain, à l’occasion d’un rituel qui a lieu tous les soixante ans, des citoyen·nes se transmettent à l’oral le souvenir et les traces du 21e siècle. Dans la société qui est la leur, le théâtre n’existe plus depuis longtemps, comme la plupart de nos us et coutumes, tels que les élections, le baiser, la propriété, le football ou même les larmes ! Que voudrait-on que les générations futures retiennent de notre quotidien ? Qu’est-ce qui est réellement précieux ? Les trois interprètes tentent de restituer notre époque, avec la conviction d’archéologues aux hypothèses tâtonnantes. Ce théâtre d’anticipation pose un regard décalé sur nos habitudes les plus triviales et notre modèle de société. Le jardin du TXR offre un écrin idéal pour déguster ce spectacle insolite, poétique et drôle.
Prix du jury du Festival Impatience 2022
Création collective : Arthur Amard, Rémi Fortin, Simon Gauchet, Blanche Ripoche (sur une idée originale de Rémi Fortin)
Avec : Arthur Amard, Rémi Fortin, Blanche Ripoche
Regard extérieur et scénographie : Simon Gauchet
Théâtre de la Croix-Rousse, en partenariat avec le Théâtre des Célestins
Auto-dérision collective, dans la joie et la bonne humeur
Avec Le Beau Monde, le Théâtre de la Croix-Rousse inaugure un nouvel espace de jeu insolite, quasi informel : le jardin. Des gradins en bois accueillent un nombre de spectateurices réduit par rapport à la salle. La nuit qui tombe, les guirlandes et les coussins offrent à ce tiers-lieu une ambiance chaleureuse, conviviale, confortable. On se croirait presque dans un théâtre de rue. Et en face de nous, les trois comédien.nes – personnages sont déjà là, nous attendent sagement sur leur banc, étrange trio décalé que l’on observe et qui nous guette, dans une sorte d’intimité collective. Le spectacle a déjà commencé, ou plutôt : nous avons déjà quitté notre temps pour un autre, plus lointain, plus distancié de nous. Les trois personnages se lèvent, et le « rituel » commence.
Avec leur air constamment surpris, leurs grands yeux interrogateurs, leur corps aux aguets, Blanche, Arthur et Rémi ne peuvent que nous apparaître éminemment sympathiques. Iels sont à la fois proches de nous, et pourtant très différents, tant leurs tentatives de s’approprier une gestuelle et des codes qui ne sont pas les leurs sont maladroites. Le jeu d’acteurice proposé est assumé et tenu d’un bout à l’autre du spectacle, de notre entrée jusqu’au salut, inventant un humain extraordinaire (dans le sens premier du terme) à l’allure enfantine. Iels se servent de leur espace scénique sans lui mettre de limite, usent de leur scénographie et des accessoires à leur disposition (petites pierres, micro, synthé) dans une attitude très réfléchie, mécanique, qui nous ferait presque oublier qu’iels jouent. C’est cette parfaite incarnation d’un autre – humain, temps, monde – qui fait de ce spectacle un vrai choc d’univers et soutient à merveille l’intention de départ.
Le Beau Monde propose un décorticage de l’humanité, une vision soudainement analytique de nous-mêmes et nos habitudes parfois les plus insolites (comme le baiser ou les larmes, inconnus dans ce futur lointain). Le spectacle et ses comédien.nes débordent d’humour, de décalage et de dérision pour offrir un vrai regard sur la société humaine actuelle. Le tempo comique parfaitement maîtrisé permet d’entrevoir toute la tendresse que recherchent les quatre créateurices de la pièce. C’est un exercice d’auto-dérision collective à laquelle chacun.ne d’entre nous participe joyeusement. L’hilarité est générale, et le partage vrai : les personnages nous tiennent en haleine et en attention constante, tandis qu’elleux-mêmes guettent sans cesse nos réactions.
En partant d’un constat mélancolique d’une époque déjà révolue, qui nous appartient mais qui s’effondre, Rémi Fortin et ses trois camarades, Blanche Ripoche, Arthur Amard (sur scène) et Simon Gauchet sollicité une mémoire collective sur un présent toujours en cours. Le procédé nous place forcément dans un décalage envers nous-mêmes, et nous interroge : à quoi ressemble la société humaine sous le prisme d’autres que nous ? Que reste-t-il, que voudrait-on qu’il reste de notre temps ? Il y a dans ces interrogations et dans nos rires une vraie tendresse sur notre humanité. Il y a la question de notre héritage commun, d’un certain relativisme qui rassure puisqu’il nous rappelle que nous ne sommes pas grand-chose, mais que nous sommes ensemble. Et qu’est-ce qu’on a l’air bête, qu’est-ce que c’est bon de se voir aussi bête !
C’est aussi un vrai instant de théâtre qui est proposé, un théâtre transcendant où le « lieu où l’on voit » devient le lieu où l’on se voit. Le Beau Monde est un spectacle surprenant, touchant et hilarant, et rassembleur.
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