Présentée au festival d’Avignon, le nouveau spectacle de la metteuse en scène brésilienne Christiane Jatahy, Entre chien et loup, s’inspire du film de Lars von Trier, Dogville. L’histoire, la voici : une femme, Grace, se réfugie dans une petite ville isolée pour échapper à des gangsters. La communauté, d’abord réticente, accepte de lui venir en aide. Mais la situation, déjà inégale, se dégrade jusqu’à l’exploitation physique et psychologique de Grace par tous les habitants. Ici, sur la scène du TNP, Christiane Jatahy nous propose une expérience inspirée de ce film, une expérience qui a pour but d’interroger la répétition de l’histoire, le fatalisme du film, l’insurrection face au passé.
Lieu : TNP
Mise en scène de Christiane Jatahy
Avec : Véronique Alain, Julia Bernat, Elodie Bordas, Paulo Camacho, Azeline Cartigny, Philippe Duclos, Vincent Fontannaz, Viviane Pavillon, Matthieu Sampeur, Valerio Scamuffa
Une ambition mise en échec
Passé le constat des déjà-vu – la lumière service, l’interpellation au public – le début de la pièce semble nous proposer un sujet intéressant, celui d’une expérience. Le personnage de Tom, interprété par Matthieu Sampeur, nous présente cette volonté de partir du film – que les personnages connaissent – pour s’en éloigner et en éviter le fatalisme. La caméra sur scène devient alors l’outil de cette expérience : à travers le montage qui se fait en direct, Christiane Jatahy veut nous montrer la déconstruction de l’image, pour réduire son impact. Cette volonté pour le moins ambitieuse va donc dans le sens du début de la pièce : le but est de s’éloigner de l’image de départ, du film de départ. Hélas, ces attentes proposées par les personnages eux-mêmes sont très vite – trop vite – déjouées. A peine passée la présentation du programme que déjà, les personnages reprennent, presque mot pour mot, le texte de Dogville. Après la surprise et l’interrogation vient très vite le constat d’un échec : les personnages, loin de se détacher de l’œuvre originelle, se confondent avec elle, sans explication. Ils ne s’inspirent pas des personnages du film, ils en sont les simples doubles. Ils n’évitent pas les problèmes, ils les reproduisent aveuglément, sans qu’aucun élément ne les justifie. De plus, ils passent leur temps à aller et venir d’une diégèse à l’autre sans parvenir à construire de véritable lien entre elles. Les spectateurs de Dogville assistent donc ici à une reproduction réductrice du film qui ne prend pas la peine ni le temps d’adapter le scénario originel à la scène de théâtre.
Et sur ce propos, ceux qui n’ont pas vu le film ne sont pas en reste ! Le public se retrouve vite dans une situation inconfortable, sans plus savoir s’il est dans ou hors de l’univers, s’il est spectateur ou voyeur. Le malaise créé est renforcé par le désordre qui règne sur scène, à différents niveaux. La scénographie, d’abord intéressante (même si sans originalité par rapport au film), brise à de nombreuses reprises le cadre qu’elle se proposait d’apporter. Loin de remplacer les mouvements de caméra de Dogville, comme le souhaitait visiblement Christiane Jatahy, cette scénographie mouvante perd le public, tout comme les nombreuses incohérences éparpillées dans la mise en scène. L’alternance entre parties filmées en direct et parties pré-filmées, si elle apporte quelques éléments intéressants – une réflexion sur l’impossibilité de sortir de la représentation – dans l’ensemble, n’est ni justifiée ni pertinente. C’est aussi le cas des coups de colère de Graça, jouée par Julia Bernat, qui arrivent trop vite, trop fort, ou les crises de la communauté, qui n’ont pas été préparées. Toutes ces incohérences ont un lien : cinéma et théâtre sont deux genres distincts, avec des codes particuliers. Choisir d’adapter un film au théâtre, c’est passer des mécanismes du cinéma aux mécanismes du théâtre, ce qui, dans le cas de Entre chien et loup, n’a pas fonctionné. Enfin, le parallèle proposé avec le fascisme au Brésil pouvait être un sujet très intéressant, rendant d’ailleurs un bel hommage au pays d’origine de la metteuse en scène et de la comédienne principale. Mais, à nouveau, c’est un parallèle qui se solde par un échec : un grand monologue moralisateur, si poétique soit-il, ne suffit pas en soi, s’il n’a pas été préparé tout au long de la pièce. A trop vouloir utiliser tous les codes du théâtre, au fur et à mesure de sa mise en scène, sans les avoir préparé à l’avance, Christiane Jatahy ne peut que créer la confusion.
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