Antoine et Cléopâtre

Publié le 14 avril 2023 à 23:19

Antoine et Cléopâtre. La légende est connue. Shakespeare l’a érigée en tragédie. Ce couple est le symbole de la passion déchirée et des rapports sulfureux de l’amour et du pouvoir. Tiago Rodrigues, metteur en scène incontournable de la scène internationale, nouveau directeur du Festival d’Avignon, s’affranchit du mythe d’origine pour mettre exclusivement en lumière le thème du duo amoureux. Toute la pièce s’articule autour de leurs visions réciproques et fusionnelles : Cléopâtre décrit les faits et gestes d’Antoine et inversement. Le metteur en scène compose un poème épique et contemporain, qu’il donne à parler, chanter et danser au couple Sofia Dias et Vítor Roriz. Leurs paroles s’enlacent avec une volupté que seule l’ardeur de l’amour peut insuffler. Tout est suspendu en l’air, un air que sculptent les gestes et les mots, ainsi qu’un mobile pour seul décor. Une épure élégante et ténue, une ode à l’amour.

 

Lieu : Théâtre de la Croix-Rousse

Mise en scène de Tiago Rodrigues

Avec : Sofia Dias et Vitor Roriz

Lumière : Nuno Meira

Musique extrait du film Cléopâtre de 1963

Si je trouve le temps et la motivation, ça m'intéresserait peut-être de faire un dossier spécial Antoine et Cléopâtre, qui regrouperait différentes œuvres.

En attendant, retrouvez-nous avec quelques copains dans mon tout nouveau podcast où nous parlons de ce spectacle :)

 

Une jolie danse monocorde

 

La mission que se donne Tiago Rodrigues dans cette adaptation est intéressante, touchante. Il se propose de mettre en mots un poème épique et contemporain, autour de la thématique du duo amoureux. Pour Tiago Rodrigues, le coeur de l'oeuvre se retrouve dans les visions réciproques et fusionnelles des amants de Shakespeare, qui sont, selon les mots du metteur en scène, "le symbole de la passion déchirée et des rapports sulfureux de l'amour et du pouvoir". Les thématiques nous sont offertes sur un plateau : la dualité et la symbiose, les miroirs et les contradictions, le tout dans un décor épuré aux couleurs froides. C'est, a priori, une ode à l'amour.

 

Le spectacle qui nous est offert n'est pas sans qualité. On apprécie même un visuel plein de douceurs, dans les mouvements et les voix des comédiens, qui correspondent à la perfection à la volonté du metteur en scène : créer un "jeu de miroirs et d'échos qui démultiplie les mouvements à l'infini". On assiste alors, grâce aux répétitions, à une danse des mots et à une valse des corps : les comédiens semblent guider leurs personnages invisibles avant de ne faire qu'un avec eux. A cette douceur répond le décor, d'une sobriété élégante qui nous donne l'impression de vagabonder dans le désert égyptien en compagnie d'Antoine et Cléopâtre. Un autre aspect du spectacle vient mettre en valeur la proposition de Tiago Rodrigues : le duo amoureux. L'évolution du jeu et du texte des deux comédiens leur permet au fur et à mesure de la pièce de glisser d'un personnage à un autre, de devenir homme puis femme, d'être narrateur avant de dire "tu", puis, enfin, "je". Ce jeu autour de l'identité des personnages est un élément essentiel pour mettre en scène la dualité qui se dépasse, se transcende pour devenir une symbiose, un tout.

 

Voilà, les propositions de ce spectacle sont joliment intéressantes. Malheureusement, elles ne semblent pas dépasser le stade de propositions. Quelques fulgurances sont les bienvenues, mais elles restent trop anecdotiques - la danse des ombres, l'utilisation du mobile, un jeu de lumières entre jaune et bleu. La beauté du texte shakespearien et parfois de beaux instants de jeu ne suffisent pas à dissiper les choix discutables de la mise en scène. Les répétitions aux accents lancinants sont certes significatives dans le propos du spectacle, mais elles prennent le risque de devenir une berceuse qui fonctionne parfois trop bien sur les spectateurs. Les interludes musicaux ne fonctionnent pas : ils sont une rupture abrupte, nette dans la suspension de notre incrédulité : soudain, ce sont les comédiens qui se retrouvent sur scène. Soudain, nous n'y croyons plus. Concernant d'ailleurs les comédiens, ils semblent parfois montrer des difficultés à se fondre dans leur personnage : sont-ils réellement des narrateurs? Ou des comédiens récitant leur texte? La difficulté de la langue française peut être ici en jeu.

 

En somme, oui, c'est une proposition très jolie, mais qui nous laisse très vite sur notre faim. La scénographie sous-exploitée, la danse somnolente des voix et des corps, le jeu plus ou moins assumé, tout nous fait davantage penser à une ébauche d'un spectacle timide qui n'ose pas aller au bout de son idée.

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