Pour sa deuxième édition, le festival « J’irai jouer chez vous », fondé par l’association Qu'artz propose une thématique pleine de contradictions. « Hâte-toi lentement » est une oxymore alliant urgence et lenteur, un apparent paradoxe qui sonne pourtant comme un conseil, « lentement » faisant plutôt appel à la prudence. C’est là souvent tout l’enjeu du théâtre : des personnages mus par une urgence, pour laquelle ils doivent faire preuve de patience et de prudence, à moins de courir à leur perte. Pour les spectacles proposés par le festival, une seule consigne : mettre à l’honneur ce fil rouge.
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"Hâte-toi lentement"
La Supercherie Réciproque, Françoise Albine-Benoist (1768) – Collectif Les Herbes folles
Adoptée dès son plus jeune âge par le Comte, Rosalie, jeune roturière orpheline, aspire à l’élévation sociale. Son réel statut est passé sous silence. Diapason, maître à chanter de profession, enseigne la musique à Rosalie. Afin de se séduire, ils vont s’inventer un rang qu’aucun d’eux ne possède.
Le spectacle d’ouverture est tenu par un collectif qui chercher à mettre en avant le matrimoine français, en interprétant des pièces écrites par des femmes de l’Ancien régime. La dramaturge du soir est Françoise Albine-Benoist, avec une pièce – unique et encore jamais jouée – éminemment féministe dont le discours résonne quelque soit l’époque ou le degré de lecture. Alors que le matrimoine théâtral (entre autres) est encore trop peu présent dans les programmes scolaires et culturels, le trio du collectif prend le temps de poser les bases et de remettre la pièce dans un contexte contraint par la censure et le patriarcat.
La pièce est une réussite à tout points de vus. Les trois comédiens utilisent tous les procédés à leur disposition pour faire de leur mise en scène un spectacle dynamique, drôle, émouvant et plein de surprises. Grâce à un jeu de masque et de costumes, le trio se partage les rôles, offrant chacun sa propre palette de jeu à des personnages déjà hauts en couleurs. De plus, les comédiens n’hésitent à briser le quatrième mur pour des moments de partage avec le public. Entre clown, théâtre de rue et improvisation, les interprètes investissent l’espace public, révèlent l’envers du décor, renversent les règles du théâtre en se montrant aussi provocateurs que l’autrice, notamment lorsqu’il s’agit du dénouement… Il y a de la musique, il y a du rire, il y a des imprévus et des fusils de Tchekhov, le tout maintenant constamment l’attention du public éveillée.
Pour ce qui est du fameux fil rouge, le contrat est rempli, dans la diégèse comme dans la mise en scène : le personnage de Rosalie est mû par l’urgence d’échapper à sa condition, mais doit faire preuve de prudence et de ruse pour – peut-être ? – s’en sortir. Le jeu des comédiens est porté par une dynamique qui prend malgré tout son temps lorsqu’il s’agit des échanges avec le public. Une ovation méritée, et une recommandation évidente pour les professeurs et programmateurs qui passeraient par là !
Spectacle de Marionnettes – Jean-Marc Andrieux et Sylvain Dacana Lacroix
Nous connaissons tous l’histoire du Petit Chaperon Rouge, la petite fille insouciante partie offrir à sa grand-mère des galettes et des petits pots de beurre. Sur son chemin, elle croise le loup. Un loup bien fatigué qui a toujours faim.
En parfait conteur comme à son habitude, Jean-Marc s’amuse à réécrire un conte connu de tous, celui du Petit Chaperon Rouge. Accompagné par la musique envoûtante de Sylvain, il nous emmène en voyage dans un monde enchanté et enfantin. Il utilise sa propre voix pour narrer, et la prête à ses marionnettes pour jouer. Là aussi, notre comédien n’hésite pas à s’inviter au milieu du public lors des folles déambulations du loup. Il se met à hauteur d’enfant, s’agenouille, use de mots et d’images simples et belles pour capter leur attention. Sylvain n’est pas en reste, puisqu’il va même jusqu’à confier ses instruments aux petits spectateurs. Entre quelques clins d’œil écologiques et une dimension épique, Jean-Marc et Sylvain portent un message sur l’amitié, une amitié qui prend le temps de se construire – « Hâte-toi lentement ». Le spectacle est un véritable petit voyage pour les enfants, qui réinvente la morale du conte et n’oublie pas de faire sourire les plus grands.
« Tout n’était que papillonnage. […] C’est cela qu’on appelle le merveilleux. »
Tous mes rêves partent de gare d’Austerlitz, Mohamed Kacimi – Compagnie des 400 coups
Dans une maison d’arrêt, des femmes sacrifient souvent leur promenade pour quelques heures à la bibliothèque. Elles évoquent, dans la passion ou la querelle, leur quotidien, leur travail, leurs amours, leurs rêves. Un soir de Noël où elles ont quartier, une nouvelle arrivante les rejoint. Frida, arrêtée pour l’enlèvement de sa fille, ne supporte pas cette séparation et la réalité de l’enfermement. Pour la sauver, ses nouvelles camarades lui proposent de jouer une scène de « On ne badine pas avec l’amour », et d’envoyer la vidéo à sa fille.
Quoi de plus représentatif pour le fil rouge du festival qu’une maison d’arrêt ? Contraintes par un temps qui semble s’être figé, les filles se laissent porter par une sorte d’urgence de la joie, une urgence de la normalité, dans un environnement carcéral dont on tait le nom. Elles veulent à tout prix vivre en recréant leur propre quotidien. Elles s’approprient l’espace pour en faire un lieu familier, un lieu rempli de vie, de mouvements, de voix – on ne s’arrête jamais de parler ou de bouger, pour tromper l’immobilité du temps et l’enfermement. Mais cette urgence illusoire est fragile, elle laisse entrevoir – parfois exploser – les fissures de chacune. Alors soudain, il faut prendre le temps, d’écouter, de laisser passer la tempête intérieure, avant de vite reprendre un semblant de vie ordinaire.
En plus d’être un formidable témoignage de sororité, la pièce est également une mise en abyme, puisque la joyeuse bande se prête au jeu du théâtre – certaines deviennent personnages, d’autres s’amusent à être metteuses en scène ou directrices d’actrices. Quelle que soit la place que chacun trouve dans On ne badine pas avec l’amour, cette seconde partie de la pièce est un véritable exutoire, un instant d’échange plus profond et peut-être plus vrai que tout ce qu’elles partagent au quotidien. Comme si l’illusion théâtrale devenait plus réelle que l’illusion dans laquelle elles se sont enfermées.
L’incarnation de ce spectacle – créé à partir de véritables témoignages – est avant tout tenu par la force du groupe. Les rires sont communicatifs, les instants d’émotions sont cathartiques, malgré un jeu parfois inégal et des longueurs dans la mise en scène. Mais ces longueurs sont peut-être simplement le reflet du temps vécu en prison – oh pardon mesdames, j’ai dit le nom tabou. Un joli instant d’émotions.
Le miel qu’on lèche sur l’épine, Léna Pradelle et William Robin
Je m’appelle Souris. Je suis née il y a plus de vingt ans, sans vraiment faire exprès. Depuis j’ai toujours eu l’impression d’être la seule vraie personne. Je m’appelle Souris et je suis née dans une famille un peu pareille. Mes parents se sont rencontrés et mis en 1988, en faisant un peu exprès. Aujourd’hui, c’est les trente ans de leur relation. Pour l’occasion, ils ont invité tout le monde pour un grand évènement…
Le festival se clôture donc sur une œuvre cinématographique créée par l’association. L’apogée du thème est porté par une famille en apparence parfaite : deux hommes qui s’aiment depuis trente ans, entourés de leurs deux filles et de leurs nombreux amis. Tout paraît fête – et les couleurs vives et chatoyantes de l’image renforce cette impression. Mais derrière la musique et les couleurs, il y a les petits secrets échangés sur le bord du lit, un cache cache qui tourne mal, la menace d’une explosion, d’une rupture.
Secrets, désirs et crises existentielles sont portés à l’écran par un dynamisme plein d’humour absurde, des apparitions surprenantes, des mouvements de caméra fluides qui cherchent à capter l’émotion de ces personnages à vif. Dans le contexte d’une fête où tout va vite – les corps, les aveux, les dérapages – il s’agit de prendre le temps de rebondir après la tempête, pour ouvrir la porte au pardon, à un nouveau, à de nouvelles relations.
Car comme dit Souris : « C’est la vie ».
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