A quoi ressemble un enfant humain quand il est transformé en objet par un adulte ? Renversant le mythe de Pinocchio, Alice Laloy met en scène la métamorphose d’enfants en marionnettes dans un étrange et fascinant rite de passage, magistralement accompli par 22 jeunes interprètes.
Mise en scène et Conception : Alice Laloy
Production : La Compagnie s'Appelle Reviens
Scénographie : Jane Joyet
Chorégraphie : Cécile Laloy assistée de Stéphanie Chêne
Avec : Alice Amalbert, Mathilde Augustak, Matthias Beaudoin, Étienne Caloone, Ashille Constantin, Roxane Coursault, Robinson Courtois, Nina Fabiani, Léon Leckler, Valentina Papić
Et les enfants : Charlotte Adriaen, Nohé Berafta, Louna Berafta, Juliette Martinez, Mila Ryckebusch Vandaële, Romane Sand, Elya Tilliez, Eléna Vermersch, Giulio Risaceo, Iness Wilmotte, Éloi Gonsse Martinache
Accompagné par les jeunes percussionnistes : Hector Yvrard et Mathis Rebiaï
Beauté inquiétante et étrange malaise
Le choix d’une scène en bi-frontal place déjà les spectateurices dans une position voyeuriste : on observe, la scène, ceux qui nous font face, on guette, on suit les regards des uns et des autres. Pour les artistes qui viennent en suite, il y a comme une mise à nu plus grande que sur une scène traditionnelle, puisqu’ils ne peuvent pas cacher, dissimuler, tricher : même de dos, ils sont de face. C’est un choix particulièrement pertinent dans le cadre du spectacle d’Alice Laloy, puisque sa volonté est de troubler, de jouer de l’inquiétude qu’elle crée.
D’où vient cette inquiétude ? Des enfants peut-être, qui débarquent sur la scène en apportant toute leur joie, leur bonne humeur, leurs rires, leurs jeux. Puis le silence. A nouveau les rires et les jeux. Et de nouveau le silence. S’ensuit une chorégraphie par laquelle les comédien.nes, vêtu.es de blouses de travail et d’outils, créent une sorte d’entrepôt sinistre, sous des lumières blanches, froides. On est tiraillé, entre l’énergie qu’on laissé les enfants, partagée par les percussions qui rythment le travail, et les regards que se lancent les artistes-artisans, des regards inquiets, interrogateurs. La scénographie rappelle Les Temps modernes de Charlie Chaplin, transposés ici dans un atelier plus manuel, artisanal. Puis, les enfants reviennent.
C’est là que la réécriture du conte prend forme. Suivant tout un processus de création, patient, long, très long, oppressant, les adultes transforment les enfants. Ils les maquillent, les déguisent, les modulent. Des marionnettes inexpressives, modulées selon un modèle unique qui leur fait perdre toute humanité, ce qui ne peut que perturber – voire repousser – puisqu’il s’agit d’enfants. Ces robots humanoïdes reprennent ensuite vie dans des mouvements saccadés, des rondes étranges, des danses que l’on ne peut que saluer face à leur précision et leur talent – ils évoluent les yeux fermés.
Toujours soutenue par les regards des comédien.nes, par une musique à la fois enfantine et inquiétante, par le réalisme de cette chorégraphie gestuelle ponctuée de ratés, cette métamorphose et cette renaissance traduisent à la perfection l’intention de la metteuse en scène :
« Dans une chorégraphie précise de mouvements, de gestes et d’actions, l’expérience à laquelle nous invite la metteuse en scène nous invite pour explorer la fine frontière entre l’humain et son simulacre est troublante. »
Que l’on soit réceptif ou non, le théâtre-performance cherche à explorer les limites humaines au sens large, que ce soit du côté de celleux qui performent que ceux qui en sont témoins. La performance met souvent les spectateurices face à une inquiétude, un malaise, et surtout, seul.es face à leurs interrogations.
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