Avant la terreur

Publié le 6 juin 2024 à 15:02

Avant la terreur, c’est la libre adaptation du Richard III de Shakespeare écrite par Vincent Macaigne. C’est la tragédie du dernier roi anglais de la lignée des Plantagenêts. Mort à l’issue de la guerre des Deux-Roses, en 1485, Richard III est devenu, grâce à Shakespeare, l’une des figures incontournables du répertoire théâtrale. Une sorte d’idiot aussi brutal que ridicule, qui entraîne dans sa chute un groupe de personnages pour qui la fin justifie les moyens. A l’aide d’un décor ultra-brut, Vincent Macaigne porte haut et fort une parole radicalement contemporaine. Son adaptation donne corps à une bouffonnerie violente que seule la présence d’enfants vient par moments apaiser. Face à un plateau dévasté, nous sommes les témoins de la folie tumultueuse du théâtre.

 

Ecriture, mise en scène, conception visuelle et scénographique : Vincent Macaigne

Assistante à la mise en scène : Clara Lama Schmit

Avec : Sharif Andoura, Candice Bouchet, Pauline Lorillard, Thibault Lacroix, Pascal Rénéric, Sofia Teillet, et des enfants en alternance

Création lumière : Kelig Le Bars assisté de Edith Biscaro

Accessoires : Lucie Basclet

Régie générale et collaboration artistique : Sébastien Mathé

Production : MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Compagnie Friche 22.66

 

Monstrueux, déjanté, grandiose

 

Une certaine réputation de démesure et de folie précède la découverte du nouveau spectacle de Vincent Macaigne. Et à peine entrés dans le lieu théâtre, le ton est donné : le hall des pas perdus résonnent des voix de la troupe, projetée sur des écrans et dans les enceintes. Et que dire de la salle, plongée dans le clair-obscur de la fumée, et le brouhaha de ces voix qui se font écho et se chevauchent. Tout est fait, avant même le début du spectacle, pour annoncer la couleur. Puis la tirade liminaire : fermez les yeux, respirez, oubliez Richard III… et dansez !

 

« Décor ultra-brut », « plateau dévasté » : la démesure violente des personnages de Shakespeare s’incarne au premier abord dans la scénographie de Vincent Macaigne. La scène est débordante de gadoue, les murs du palais sont d’un blanc sali, il y a des cages, du métal, un énorme sac en plastique suspendu au-dessus du plateau, menaçant à tout instant de se déverser sur les personnages – et sur les spectateurices du premier rang, bien équipé.es avec leur combinaison imperméable. La scène devient le lieu de tous les possibles, de toutes les rencontres : à la fête succède la crise, au pouvoir la révolution, au mensonge et à la manipulation la volonté de crier une vérité. Avant même le récit et la parole, tous les enjeux de la pièce, ses thématiques et sa dimension universelle s’incarnent dans cette scénographique. La démesure des personnages se voit dans l’appropriation de l’espace ; la violence du récit est exacerbée par l’utilisation du plateau et de ses éléments techniques (travail pyrotechnique) ; les mots de Shakespeare trouvent une résonance dans l’époque contemporaine grâce à l’absence constante de quatrième mur.

 

Vincent Macaigne et sa troupe mettent en place un théâtre qui déborde du théâtre, qui se transcende à la fois en tant qu’espace et en tant que média. Cet aspect pourrait se résumer simplement dans la dimension profondément politique de cette adaptation de Richard III. Nombre des pièces de Shakespeare sont mues par des trajectoires politiques – royauté, famille au pouvoir, rivalités, guerre … Le jeu des acteurices démontrent alors la complexité de ce simple aspect. Bien que l’une des artistes – Elizabeth dans la pièce – nous invite au départ à oublier l’aspect familial de Richard III, et de ne voir en ces personnages que des "pays", il reste que leur incarnation revient sans cesse à quelque chose de plus intime, plus intérieur. La frontière est fine entre le personnage individu, humain, et sa transcendance politique. L’écriture littéraire et scénique de Macaigne devient presque chirurgicale, pour mettre en lumière une folie, une monstruosité chez ces personnages incarnés, née de cette tension constante entre l’individu et le pouvoir.

 

La réécriture de Vincent Macaigne, en plus d’incarner toute cette démesure dont on a parlé, met à l’honneur chacun des personnages de Shakespeare. Plusieurs caractéristiques se tiennent sur toute la longueur du spectacle. Tout d’abord, les dialogues sont très peu nombreux, laissant aux tirades et monologues davantage d’espace – dans tous les sens du terme, car lors d’une prise de parole, de position, les autres personnages-acteurices s’arrêtent, les regardent, les écoutent. La parole prend l’espace de la scène, mais aussi celui de la salle. Le quatrième mur n’existe pas dans cette adaptation, le public est sans cesse pris à parti, sollicité, invité même sur scène. Il y a un vrai lien qui se crée entre l’espace du théâtre et l’espace de la fiction. Les personnages viennent se défendre et défendre un point de vue face aux spectateurices. Tout comme les personnages hésitent sans cesse entre leur individualité et la politique, la pièce entière va et vient entre intime et universel, passé et présent, fiction et réalité contemporaine.

 

L’espace fictionnel se fait donc porte parole de notre époque, propulsant dans l’adaptation de Shakespeare un constant terrifiant et sarcastique de la réalité. Les discours sont illustrés par des écrans aux images terrifiantes, des images réelles et actuelles. Écologie, crise politique, sociale et économique, guerres, accidents, violence : Avant la terreur met en scène la déchéance d’une génération, un monde au bord de sa chute, mais aussi peut-être de son renouveau. Les monstres de Shakespeare sont conscients d’eux-mêmes, et portent également un espoir sincère dans la génération suivante – d’où la présence d’enfants, qui n’apaisent pas la violence mais qui proposent, qui veulent autre chose.

 

Avant la terreur, c’est un spectacle démesuré, intelligent, qui interroge le théâtre, l’adaptation, le monde actuel. Passés ce constat, les analyses et nos ressentis de spectateurices, il reste une interrogation autre, de plus en plus récurrente justement dans l’actualité. Les moyens techniques mis en œuvre dans ce genre de spectacles, s’ils sont impressionnants, nécessitent des moyens financiers qui, à l’heure où la culture dans son ensemble souffre d'un déficit grandissant, peuvent être remis en question. Il existe presque un décalage entre les grandes productions et les difficultés des plus petites compagnies et des théâtres, décalage qui demandent peut-être que l’on s’y intéresse. Pour aller plus loin sur ce sujet, je vous invite à écouter l’une des dernières émissions de Mathis Grosos, journaliste et chroniqueur, dans son podcast « Dramathis ». Dans cet épisode, il aborde la question du « hors-sol » sous toutes ses formes :

Plus d'informations sur le spectacle :

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.

Créez votre propre site internet avec Webador